Revue de presse

Sous-traitance textile : Auchan mis en cause dans de nouveaux documents

LE FAIT DU JOUR. Auchan faisait travailler une société installée au Rana Plaza, l’immeuble dont l’effondrement a fait plus de 1000 victimes en 2013. Trois associations portent plainte contre le géant de la distribution, s’appuyant sur de nouveaux documents pour pointer des manquements dans la sécurité notamment.

Le profil d’un petit oiseau dessiné au centre d’un cercle vert pomme. Tel est le logo utilisé par Auchan qui s’affirme vert sur blanc, « discount » (à bas prix) et « responsable ». Ce slogan s’apparente à « une pratique commerciale trompeuse », d’après les trois associations — Sherpa, Peuples solidaires et le collectif Ethique sur l’étiquette —, qui se sont constitué partie civile lors du dépôt de la seconde plainte contre Auchan, en juin dernier, au tribunal de Lille.

Une première plainte avait été classée sans suite, les enquêteurs estimant ne pas disposer d’une enquête de terrain « approfondie ». Dont acte. Ces trois associations se fondent sur de nouveaux documents — que nous avons consultés en exclusivité — qui seront présentés aujourd’hui au juge. « Fin 2014, sur les indications d’un ex-salarié, nous avons vu une dizaine d’usines qui sont des sous-traitants officiels d’Auchan. Selon nous, le groupe viole ses engagements éthiques et la loi bangladaise », explique Marie-Laure Guislain, chargée du contentieux à Sherpa.

Risque d’incendie et machines dangereuses

Les témoignages des salariés recueillis fin 2014 par Sherpa font état « d’accidents graves liés à des machines à coudre dangereuses ». « Ils se produisent lorsque les travailleurs se baissent pour ramasser un objet et se font happer par la machine », explique l’association. Certaines, parfois, « sont brûlantes et prennent feu », témoigne, dans ces documents, Renu, une ouvrière. Hamida parle de « câbles électriques qui se croisent » et des incendies en série que cela provoque. « Il y a 700 personnes par étage et il y a quatre étages. Les travailleurs sont séparés de 50 cm. Le manageur dit qu’ils peuvent courir et sortir s’il y a un incendie », confie une autre. Un audit d’avril 2014 confirme ces éléments.

La réponse d’Auchan : « Toutes nos usines ont été auditées pour la solidité des structures, les installations électriques et la sécurité contre l’incendie. Les remédiations éventuelles sont en cours ».

Pas de détecteurs et d’extincteurs de fumée

En 2011, déjà, un audit interne à Auchan, dit ICS (initiative clause sociale) — et que nous avons aussi consulté —, faisait état de problèmes chez Pioneer Apparel : à cette époque, deux ans avant le drame, Auchan faisait travailler à Dacca les ateliers de cette société, dont une étiquette a été retrouvée (sous la marque de vêtements In Extenso) dans les décombres du Rana Plaza. Chez Pioneer Apparel, d’après cet audit, les ateliers étaient encombrés d’« obstacles empêchant la mobilité de certains travailleurs », rendant les procédures d’évacuation délicates en cas d’incendie. Sont également pointés le « nombre insuffisants d’extincteurs, [des] détecteurs de fumée inactifs, des outils de production défectueux, une absence de vérification régulière des installations électriques ». Autant de résultats classés catégorie C (sur une notation A, B, C, c’est-à-dire « non conforme » et « inacceptable »).

La réponse d’Auchan : ces « anomalies mineures ont fait l’objet de demandes d’actions correctives ». Auchan a mis fin à sa collaboration avec Pioneer Apparel.

Lors de l’instruction, il est un dernier point que Sherpa souhaite voir éclairci : selon elle, dans les usines visitées, les ouvriers travaillent bien au-delà des 60 heures légales et « la signature de lettres de démission dès l’embauche est monnaie courante ».

Des progrès à petits pas

Certes, parler de révolution culturelle serait exagéré. Mais, depuis l’effondrement du Rana Plaza, plusieurs grandes enseignes ont revu — en mieux — leur copie en matière de sous-traitance. Trois mois après le drame, en juillet 2013, Auchan a mis en place un plan de lutte contre la sous-traitance opaque. Objectif : vérifier que les produits commandés sont bien fabriqués sur les sites de productions déclarés auprès du géant de la distribution, et non pas sous-traités. Ce plan comportait un code éthique et social, mais aussi des contrôles aléatoires plus efficaces des usines installées en Inde, Chine et au Bangladesh.

Fin juin 2015, plus de 1 000 contrôles avaient été réalisés, dont 8 ont permis de pointer des infractions. En cas de fausses déclarations, les sanctions ont été alourdies, allant jusqu’à l’annulation de la commande litigieuse. Par ailleurs, Auchan a versé plus de 1,3 M€ au fonds de solidarité des victimes. De son côté, Carrefour, un temps pointé du doigt comme faisant parti des donneurs d’ordre, a été la première entreprise française à signer l’accord Fire and Building Safety, destiné à améliorer la sécurité des usines au Bangladesh.

Deux ans après le drame, plus de 200 multinationales l’ont parafé — parmi elles, Auchan, Camaïeu, Leclerc, Casino ou Monoprix. « Cela reste plus une réponse marketing qu’un réel changement, regrette Nayla Ajaltouni, la porte-parole du collectif Ethique sur l’étiquette. Ainsi H&M, signataire, ne le respecte pas complètement. En fait, poursuit-elle, la plupart des entreprises veulent garder leur modèle économique, essentiellement basé sur une profitabilité à court terme. » Pour autant, « il y a des raisons d’espérer », estime cette militante.

Ainsi, l’ONU a lancé en juin 2014 des discussions afin de bâtir une norme internationale plus contraignante sur les conditions de travail pour les multinationales. Et l’Europe, elle aussi, s’est emparée du dossier.
Vincent Verier

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